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  • François Picard

Vivaldi sur Arte : problèmes !

Dernière mise à jour : 7 janv. 2021


Un peu beaucoup passablement énervé, même, après avoir vu un documentaire sur Vivaldi que diffuse actuellement la chaîne Arte, et qui est accessible en replay pendant tout le mois de janvier.


Certes, on peut y apprendre beaucoup de choses, surtout si l’on ne connaît Vivaldi que de nom (le type qui a fait des musiques pour les ascenseurs et les répondeurs téléphoniques). Mais à côté d’informations intéressantes, en particulier sur le milieu de l’opéra vénitien au début du XVIIIe siècle ou sur la triste fin d’un des compositeurs les plus célèbres de son temps, combien d’affirmations infondées et d’anachronismes dans les « reconstitutions historiques » qui émaillent ce documentaire !

Les costumes et les décors ont fait l’objet d’un travail de recherche semble-t-il assez rigoureux. Mais les instruments de musique sont traités n’importe comment. Les scènes « historiques » montrent des violons et violoncelles modernes, avec des cordes en métal. Le jeune Antonio prend ses premières leçons avec un modèle d’archet qui n’a été inventé qu’un siècle plus tard :



On nous parle de « l'émotion » de Jean Sébastien Bach découvrant des partitions de Vivaldi : on en possède un témoignage ? On nous explique que Bach « s’inspire des changements de tempo impétueux du Vénitien » : on aimerait avoir un ou deux exemples de cette inspiration. Pour ma part je n’en connais pas.

On nous déclare que « le son original de la musique baroque, c’est un sujet controversé chez les musicologues ». Conclusion implicite : on n'a aucune certitude en la matière. Qu’il y ait des points de désaccord, des discussions, c’est évident. Mais on sait quand même aujourd’hui beaucoup de choses là-dessus ; je demande à rencontrer un musicologue sérieux qui souscrirait aux affirmations de ce commentaire.


Les instruments de l’époque, nous dit-on, étaient faits pour jouer dans des salons privés; leur son était donc « particulièrement doux ; ils n’avaient pas besoin d’être très sonores ». Et à l'opéra, comment faisait-on? Le documentaire nous apprend que le père de Vivaldi jouait du violon à l'orchestre de la basilique Saint-Marc : les dimensions du lieu ont peu à voir avec celles d’un salon privé…


La palme revient quand même à la violoniste Anne-Sophie Mutter, invitée à commenter la musique de Vivaldi, et qui aligne en un temps record des banalités insignifiantes et des contre-vérités affligeantes. Exemple :

(cliquez sur le lien pour écouter, puis quittez la nouvelle page qui s'est ouverte pour revenir à l’article)

Impossible, dit-elle, de retrouver le son d'origine de cette musique : même si on arrivait à reproduire les instruments à l’identique (sous-entendu : ce n’est pas gagné), notre oreille est de toute façon incapable d'apprécier ce qu’entendaient les auditeurs du XVIIe siècle (sic : je situais quant à moi l’œuvre de Vivaldi au XVIIIe siècle).


Madame Mutter n'a pas l'air de savoir que d’une part on possède des instruments de l’époque dans leur état original, (ou dans un état proche de l’original), et que d’autre part les fabricants, luthiers et archetiers d’aujourd’hui ont énormément progressé dans la reproduction des instruments d’autrefois.


Mais surtout elle nous ressort cet argument tarte à la crème qu’on oppose tout le temps aux partisans du retour aux instruments anciens et à leurs techniques de jeu : notre « sensibilité auditive » a changé, donc nous ne pouvons pas comprendre la musique d’autrefois si on nous la joue avec les sonorités et le style de l’époque.


Très bien : il ne fallait donc pas restaurer les fresques de Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine pour retrouver les couleurs d’origine, obscurcies par des siècles de fumée. La Galerie de l’Accademia à Venise doit être fermée de toute urgence : notre « sensibilité visuelle » a changé, et Giovanni Bellini nous est devenu totalement étranger. Titien, Rembrandt, Léonard de Vinci sont aujourd’hui hors de notre portée. Pour comprendre la Joconde, il faudrait la voir dans une tenue qui corresponde à notre sensibilité moderne :



On aperçoit bien, je l'espère, l’indigence de ce raisonnement. Comme si nous n’étions pas capables de moduler notre écoute selon les différentes musiques qui nous accompagnent dans la vie : de même que nous pouvons apprécier aussi bien Picasso que Turner, Chardin et Piero della Francesca, nous savons adapter notre oreille selon que nous sommes avec les Stones, Brassens, Duke Ellington, Brahms, Mozart, Bach ou Monteverdi…


Au bout de cette logique consternante, une difficulté de taille : comment jouer cette « musique baroque » ? Comme de la musique du XIXe siècle ? Comme au début du XXe ? Comme dans les années 60 ? Comme on veut ?

Si l’on doit adapter l’œuvre à la « sensibilité auditive » (et visuelle) d’aujourd’hui, voici l'une des solutions possibles :


Ce documentaire sur Vivaldi est une production allemande : il y a en Allemagne de magnifiques artistes et ensembles spécialisés dans la musique ancienne, et qui auraient pu apporter un éclairage intéressant sur Vivaldi et son œuvre. Mais il fallait vendre ce film, et on est donc allé chercher la plus célèbre et médiatique violoniste allemande de notre époque. Anne-Sophie Mutter est sans aucun doute une remarquable et talentueuse virtuose, mais elle a été formatée avec un logiciel unique et exclusif : la grande école du violon romantique. Elle ne connaît pas grand-chose à la musique baroque et à son interprétation. Elle a entendu dire que dans cette musique les rythmes de danse jouaient un rôle important, ce qui est généralement (mais pas toujours) vrai. Alors elle déclare :

(cliquez sur le lien pour écouter, puis quittez la nouvelle page qui s'est ouverte pour revenir à l’article)

Le même documentaire faisait pourtant référence aux « changements de tempo impétueux » de Vivaldi, changements dont s’accommodent mal les rythmes de danse…

Je serais curieux de savoir quelles danses identifiables Anne-Sophie Mutter a repérées dans les Quatre saisons. Elle confond visiblement danse et énergie.


D’un bout à l’autre du film, la seule œuvre instrumentale évoquée ou jouée, c’est les Quatre saisons, comme si dans l’immense (trop immense ?) production du Vénitien il n’y avait pas autre chose, des petits trésors d’inventivité dédiés à pratiquement tous les instruments (sauf le clavecin, qu’on entend pourtant jouer ici de façon mécanique le mouvement lent du concerto « l’hiver »). Mais Anne-Sophie Mutter semble ne pas même soupçonner l’existence de ces œuvres : sa discographie et ses concerts ne proposent inlassablement que les Quatre saisons, qui lui fournissent l’occasion de montrer son incontestable virtuosité.


Bref un documentaire qui n’est pas une bonne action, réduisant l’œuvre instrumentale de Vivaldi à quatre concertos hyper célèbres et d’ailleurs mal commentés, discréditant plus ou moins explicitement le travail des artistes et des spécialistes qui s’efforcent de rendre à cette musique ses couleurs originales.

Il faut ajouter, même si ce n’est pas le sujet, que les interprétations qui illustrent musicalement ce film sont d'une manière générale bien peu satisfaisantes (justesse, où as-tu fui ?).



« Vivaldi, le génie des Quatre saisons », visible jusqu’au 1er février 2021 sur le site d'Arte :


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