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  • François Picard

Subtilités de Beethoven

Pour le grand public, le nom de Beethoven est essentiellement associé à trois œuvres : la « lettre à Élise », la cinquième symphonie (en tout cas son début : pom pom pom pom…) et l’ incontournable « hymne à la joie » de la neuvième (devenu aujourd'hui l'hymne européen).


Pas de surprise donc à l’écoute de cet extrait dans deux versions :

(Pour cet exemple comme pour les suivants, cliquez sur le lien pour écouter, puis quittez la nouvelle page qui s'est ouverte pour revenir à l'article. L’utilisation d’un casque audio améliorera beaucoup la qualité d’écoute)



Une première observation sur ce que nous venons d’entendre, un enregistrement de 1951, souvent considéré comme « de référence », conduit par un chef célèbre, et un autre de 2011, dirigé lui aussi par un chef célèbre. Vous savez naturellement où je veux en venir : la question du tempo. La pulsation dans la première version est à environ 55 (au métronome), elle est dans la seconde à 78. Qui a raison ?


Le 18 mars 1827, Beethoven écrit à son ami Ignaz Moscheles ; celui-ci est à Londres, et lui sert en quelque sorte d’agent auprès de la Société Philharmonique qui s’apprête à donner la neuvième symphonie en concert. À la fin de la lettre, le compositeur joint une liste précise des indications métronomiques pour définir le tempo de chaque passage.


Deuxième page de la lettre :



Voici l’indication concernant notre extrait (c’est l’allegro assai) :



Allegro assai signifie « très vif » ; pour ce tempo rapide, Beethoven demande ici une pulsation à 80. Après tout, il s’agit bien d’introduire une « Ode à la joie », pas une promenade digestive...


Vous savez maintenant qui a raison.


Venons-en maintenant au thème, mélodiquement et rythmiquement plus que simple, construit de façon tout à fait classique, avec une structure basée sur le nombre quatre (quatre groupes de quatre mesures), comme dans la plupart des danses et chansons populaires. Une mélodie vraiment basique, facile à retenir, le truc idéal pour devenir une rengaine.


Ce thème, Beethoven va nous le donner à quatre reprises, sans interruption, dans une version purement orchestrale (solistes et chœurs interviendront plus tard), avec une double progression : nous partons piano, tout doucement, avec la mélodie seule dans le grave aux violoncelles et contrebasses, ensuite une octave au dessus avec les violoncelles et altos, puis le volume va croissant avec l’entrée des violons, en montant là encore d’une octave ; l’orchestre tout entier va enfin intervenir pour finir par un grand forte. De plus en plus haut et de plus en plus fort.

Certes, l’auditeur de l’époque découvrait cette mélodie ; il ne l’avait pas entendue auparavant à la radio ou au disque. Mais enfin quatre fois de suite, n’est-ce pas un peu beaucoup ?


Je vous propose un petit détour par un morceau de percussions :



Sympa, non ?


La même composition rythmique, mais cette fois-ci jouée par des instruments classiques, basson d’un côté, basson et contrebasse de l’autre :




Je rajoute une voix (un violoncelle) :




Eh oui, c’est bien la deuxième occurrence de notre thème : Beethoven « décore » ainsi la mélodie par un beau duo basson / contrebasse. Et sans doute pour rendre le chant de contrebasse plus audible, une note dans le manuscrit demande de doubler celui-ci au deuxième basson (« 2do fag col B »), ce qui n’a pas été indiqué dans la partition éditée et ne se fait donc pas toujours :



Le côté simple et assez « plan-plan » du thème est donc enrichi par le jeu rythmique plus raffiné de ce duo. L’aviez-vous remarqué à la première audition ?


Dans la suite, le compositeur va encore varier l’accompagnement avec de nombreuses formules ; concentrez-vous sur ce qui se passe autour de la mélodie, ces motifs « accessoires » auxquels on ne prête pas suffisamment d’attention. Voici donc les deuxième et troisième expositions du thème dans une version de 1991, avec un orchestre de chambre (et non pas un grand orchestre symphonique) et donc un meilleur équilibre entre les cordes et les instruments à vent ; du coup on perçoit mieux la voix des bassons :




*****


Dans le dernier mouvement de la sixième symphonie (« Chant pastoral. Sentiments joyeux et reconnaissants après l'orage »), Beethoven avait utilisé un effet de même nature, la répétition du thème, mais de manière quelque peu différente : la mélodie commence pianissimo en haut, aux premiers violons, passe ensuite aux seconds, pour être enfin chantée fortissimo par les clarinettes, les cors, les altos et les violoncelles. Plus loin Beethoven semble parti pour répéter la même séquence, mais la mélodie des seconds violons évolue au bout d’un moment vers autre chose. Dans une troisième occurrence une guirlande de notes passe des premiers aux seconds violons, puis au groupe altos / violoncelles.

Voici donc un montage de ces trois moments (j’ai supprimé les passages intermédiaires) :



Que remarquez-vous ?


La mélodie, simple et agréable, est construite ici encore de manière classique : deux phrases de quatre mesures chacune. Elle est facile à retenir, d’autant qu’avec les deux premières occurrences, elle nous est servie quatre fois (et demie). Quand arrive la troisième exposition, nous avons comme l’impression de la reconnaître, mais en réalité elle n’est pas vraiment là ; nous entendons quelque chose qui nous la rappelle, dans ce flux ininterrompu qui coule et passe d’un pupitre à l’autre, avec le contraste d’un accompagnement rythmiquement très marqué. En fait Beethoven nous suggère la mélodie, au sens précis de ce verbe : faire naître dans l’esprit sans exprimer directement. Vous pouvez la chanter, soit intérieurement, soit à haute voix, en écoutant l’orchestre. Essayez donc !


Moralité : Beethoven, ce n’est pas toujours une grosse machine qui fait beaucoup de bruit. Même dans les choses que nous croyons bien connaître, il y a toujours à découvrir…

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