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  • François Picard

Le violon de l'hiver

Vous m’avez demandé, à la fin d’un précédent article, si un largo avait nécessairement un caractère triste.


Dans un poème célèbre, Paul Verlaine évoque « les sanglots longs des violons de l’automne ». Mais nous entrons officiellement, ce 21 décembre, en hiver. Écoutons alors le violon de l’hiver : sera-t-il aussi triste que ceux du poète ?


(cliquez sur le lien pour écouter, puis quittez la nouvelle page qui s'est ouverte pour revenir au texte)


Vous avez reconnu cette musique : les Quatre saisons de Vivaldi. Ici le mouvement lent (largo) du concerto « l’hiver », dans deux versions bien différentes.


La première (que j’ai abrégée) date de 1942. C’est le tout premier enregistrement consacré aux Quatre saisons, œuvre totalement inconnue à l’époque, et qui ne deviendra vraiment célèbre qu’à partir des années 1960.



La seconde date de 2000.


Quelles impressions ressentez-vous à l’écoute de ces deux versions ? En d’autres termes, quelles images de l’hiver nous proposent-elles?


Prenez quelques secondes pour y réfléchir...




Pour ma part, je vois dans la première un monde qui tourne au ralenti, quasiment figé dans le froid.

La seconde me paraît chanter magnifiquement une sorte de plainte ; il y a de la douleur dans certaines inflexions du violon. C’est le spleen de l’hiver…


Est-ce là ce que Vivaldi voulait exprimer dans ce largo ?


Nous pouvons le savoir : il a en effet écrit, pour chacun des concertos des Quatre saisons, un sonnet « explicatif » imprimé au début de l’édition originale (1725).

Voici celui qui concerne l’hiver :



Les lettres situées à gauche servent de repère pour le musicien qui les retrouvera dans la partition.

Par exemple la lettre D lui indique le sens de cette séquence de notes répétées très rapides ; il doit suggérer les claquements de dents causés par le froid excessif :



La première strophe du poème évoque les aspects désagréables de la saison :


Trembler violemment dans la neige étincelante,

Au souffle rude d'un vent terrible,

Courir, taper des pieds à tout moment

Et, dans l'excessive froidure, claquer des dents;


La lettre E correspond à notre largo. C'est une tout autre atmosphère :


Passer auprès du feu des jours tranquilles et heureux

Pendant que la pluie en trempe bien cent dehors ;



Dans ce mouvement, le soliste doit exprimer le bonheur d’être bien au chaud à la maison; l'accompagnement souligne le contraste avec le monde extérieur :

1. les violons de l’orchestre décrivent la pluie battante en jouant des pizzicati rapides marqués forte.

2. les longues notes tenues (pianissimo) des altos et la marche tranquille des basses (piano) suggèrent la douce quiétude au coin du feu (il existe aussi une autre édition avec une partie de violoncelle solo qui joue la pluie comme les violons) :



Rien qui incite à la tristesse ni aux « sanglots longs » de Verlaine…


L’extrême lenteur de la première version, celle de 1942, avec sa pulsation à la croche, détruit l’effet d’imitation de la pluie; on n’y entend pas non plus la joie des jours heureux au coin du feu. On a l’impression d’avancer avec peine dans la neige et le froid.

Le violon de 2000 est certes plus rapide, mais avec son large vibrato insistant sur chaque note, ses effets romantiques, il confère à cette mélodie une intensité passionnée, une sorte d'« intranquillité » qui me paraît ici hors de propos : temps pourri, sa copine vient de le quitter (j'allais écrire « larguer », mais c'est un peu facile, s'agissant d'un largo), souffrance et déprime...


Je vous propose une interprétation plus conforme selon moi aux intentions du compositeur :



Mais je crois que ma version préférée est celle de Nigel Kennedy, qui semblera peut-être un peu rapide par rapport à nos habitudes (on est à environ 46 à la noire, ce qui n'est quand même pas excessif pour un largo) : il y vraiment à la fois la pluie et le bonheur tranquille. Et puis quelle belle ornementation !

(cliquez sur le lien pour écouter, puis quittez la nouvelle page qui s'est ouverte pour revenir au texte)


Un mouvement lent n’est donc pas systématiquement ni très lent, ni très triste; il peut en réalité exprimer toute une variété d’émotions et de sentiments.


Écoutons par exemple la tendresse de cette berceuse que chante à Poppée sa nourrice Arnalta (Monteverdi, Le Couronnement de Poppée, acte II scène 12).

En voici le texte :

Étends-toi, Poppée,

Repose ton âme,

Tu seras bien gardée.

Suave oubli :

Tes doux sentiments,

Endors-les, ma fille,

Et vous, yeux voleurs, reposez ;

Ah, que ne feriez-vous, ouverts,

Si vous volez même fermés ?

Poppée, reste en paix !

Chers yeux bien-aimés,

Dormez donc, dormez !

(traduction de Jean-Pierre Darmon)

(cliquez sur le lien pour écouter, puis quittez la nouvelle page qui s'est ouverte pour revenir au texte)



Quoi de plus beau qu’un violoncelle ? Deux violoncelles ! Alors quand il y en a trois…

Terminons donc en beauté avec ce largo d’un compositeur peu connu, Cervetto (1682 – 1783 ; le violoncelle, ça conserve) :



« luxe, calme et volupté » (Baudelaire)...















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