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  • François Picard

Se bécoter un brin...


« Se bécoter » ?



Vous pensiez que ce site était sérieux ?

Moi aussi.

Et pourtant…


Comme d’habitude, nous allons commencer par ouvrir les oreilles :

(cliquez sur le lien pour écouter, puis quittez la nouvelle page qui s'est ouverte pour revenir au texte)


Connaissez-vous cet air ? Non ? Rassurez-vous c’est normal, il n’y a rien de grave. Si oui, jouez le jeu et ne dites rien.

Les interprètes ? Des lycéens de la Burncoat High School (Worcester, Massachusetts, USA).


Maintenant on ajoute l’image, et on part écouter d’autres jeunes, dans la cathédrale de Växjö (c’est en Suède, m’a appris Wikipédia - pour passer la sonnerie des cloches, commencez à 30 secondes) :


Comme vous n’êtes pas sourd(e), vous avez certainement entendu la différence.

Mais avez-vous repéré la ressemblance, le point commun avec le premier morceau orchestral ?

N’hésitez pas à les écouter à nouveau.


Eh oui ! À la base c’est le même air. La version suédoise est un arrangement écrit en 1933 et qui est devenu très célèbre dans le pays sous le titre « Nu Grönskar Det » (« Maintenant c’est vert dans la vallée»), chanson destinée à célébrer le printemps. Vous en trouverez sur Internet des versions plus tranquilles ; celle-ci est quand même assez « vivante » (l’arrivée du printemps, c’est joyeux, surtout en Suède) !

Je n’en dirais pas autant de l’interprétation orchestrale que je vous ai proposée pour commencer.


Mais n’était-il pas question de « se bécoter » ?

Nous y venons.

Une version enregistrée en 1935, avec des paroles françaises (pour le bécotage, écoutez l’extrait jusqu’au bout) :

(cliquez sur le lien pour écouter, puis quittez la nouvelle page qui s'est ouverte pour revenir au texte)


Les paroles :


« Nous avons un nouveau seigneur

un chambellan tout neuf

il nous régale à pleins tonneaux

en cigares (… ici un mot que je ne saisis pas)

Le pasteur peut bien tempêter...

Les musiques, en avant !

déjà Margot ton cotillon

commence à tournoyer.


- Viens, Margot, donne ton petit museau.

- Si tu t’en tenais là ! Je te connais, insatiable !

Après tu voudrais davantage...

Et le seigneur, il n’a pas la berlue.

- Ah ! Il ne dira rien.

Il sait bien comme nous (et mieux peut-être)

combien c’est bon de fricoter.


Que c’est bon, Dieu, que c’est bon

de se bécoter un brin !

Dans le cœur et dans la tête,

ça chatouille, ça bourdonne,

comme si des hannetons

y chantaient à l’unisson. »


Avouez que ce n’est pas franchement triste ; ça fait un peu opérette, mais dans un style musical ancien ; peut-être un détournement, une parodie comique sur quelque chose de plus sérieux ?

Un indice : il est question d’un « pasteur » qui n’est pas content; l’action se passe donc dans un pays protestant.


Vous avez gagné ! L’original vient d’une région protestante d’Allemagne.

En voici le début :

(cliquez sur le lien pour écouter, puis quittez la nouvelle page qui s'est ouverte pour revenir au texte)


Avant de savoir ce qu’ils chantent, intéressons-nous au tempo (un de mes dadas, comme vous le savez). C’est bien plus rapide (plus de deux fois) que la version orchestrale entendue au début.

Pourquoi ?

Un premier élément de réponse vient des partitions utilisées.

On trouve couramment ceci :


ou ceci :



Au début de chaque ligne il y a un signe qui indique la nature de la pulsation ; sur l'une de ces deux partitions on lit 4/4, sur l'autre C, ce qui signifie la même chose, quatre pulsations par mesure. Pour les connaisseurs du métronome, la première version entendue est jouée plus que tranquillement, à environ 60 à la noire.


Mais ce n’est pas ce qu’a voulu le compositeur, dont voici le manuscrit :



Il indique C barré, ce qui veut dire deux pulsations par mesure, soit environ deux fois plus vite que C non barré. La version allemande que je vous ai proposée est à environ 82 à la blanche, soit 164 à la noire.


Il faut également tenir compte du texte original, dont le caractère détermine la vitesse à laquelle on va le chanter. Nos interprètes allemands ont-ils exagéré ?


Ce texte est en allemand dialectal ; voici le premier duo, avec la traduction française :

Mer hahn en neue Oberkeet Nous avons un nouveau gouverneur An unsern Kammerherrn. Avec notre chambellan. Ha gibt uns Bier, das steigt ins Heet, Il nous donne de la bière qui monte à la tête, Das ist der klare Kern. Ce point est très clair. Der Pfarr' mag immer büse tun; Le pasteur peut toujours se fâcher, Ihr Speelleut, halt euch flink! Vous les musiciens, soyez vite prêts ! Der Kittel wackelt Mieken schun, La blouse de Mieke s'agite déjà, Das klene luse Ding. La petite chose qui donne le vertige.


Pas de doute, c’est bien le même esprit, qui justifie assurément un tempo animé. Et la suite ?


Ah, c'est un peu trop bon, Quand un couple s'entend bien ; Eh, ça bouge dans la bedaine, Comme si des puces et des punaises Et un essaim de guêpes folles Se querellaient ensemble.


Vous l’avez compris, la version française adapte, mais ne trahit pas la version originale.


J’ai oublié quelque chose ?

Mais oui, bien sûr : qui est le compositeur ?

C’est lui :




Si vous ne l’avez pas reconnu, vous découvrirez son nom sur l’étiquette du disque de 1935 (cet exemplaire est destiné au marché japonais, d’où les caractères bizarres) :




Vous avez bien lu : le responsable musical de cette petite opérette comique (connue sous le nom de « cantate des paysans » BWV 212) est bien le grand, l’immense, le colossal Johann Sebastian Bach, alias Jean-Sébastien Bach.

Il l’a composée en 1742, à l’âge de 57 ans.


Bach, l’archétype du musicien religieux toujours sérieux, voire austère, qui doit être joué avec solennité : c’est sans doute ce qu’a pensé le chef d’orchestre de la Burncoat High School (Worcester, Massachusetts, USA). Il ne s’est pas donné la peine de chercher d’où venait cette partition, d’en comprendre le contexte et la signification. Il contribue hélas ainsi à perpétuer la caricature d’un compositeur qui est en réalité infiniment plus varié que l’image qu’on s’en fait généralement.


Jean-Sébastien aimait le bon vin, fumait la pipe, se plaisait aux grandes fêtes de famille, pouvait faire preuve d’un caractère de cochon, avait de nombreux et bons amis, se révoltait contre la bêtise de ses bourgeois d’employeurs à Leipzig, a engendré (il a été marié deux fois) vingt enfants qui ne sont pas tous nés par l’opération du Saint-Esprit.


Il faut tordre le cou à ce mythe d’un Bach toujours et partout religieux, qui, tel le roi Midas de la mythologie transformant en or tout ce qu’il touchait, aurait marqué d’un mysticisme quasi extatique la moindre des notes qu’il écrivait.


C’est un sujet sur lequel, vous vous en doutez, je ne vais pas tarder à revenir.


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Prenez le temps...


* d’écouter la version française complète de 1935 :


* de regarder la version originale en concert (hélas non sous-titrée) :


* de consulter le texte de la cantate avec sa traduction française :


... et pour ceux qui veulent se faire du mal, voilà un autre chef qui n’a pas tout compris (Université de San Salvador ) :



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